GOMA\BUKAVU: TEMOIGNAGE DIRECT, JANVIER 1997.

RESUME DU TEMOIGNAGE




1. La majorite des refugies n'est pas rentree au Rwanda: 450.000 au maximum ont pu regagner leur pays, sur une population totale de 1.103.000 refugies rwandais.
Ceux qui ont pu rentrer viennent des camps de Mugunga et Kibumba, et seraient entre 300 et 400.000 refugies.
Vu l'enjeu strategique de ces retours, toutes les cameras du monte ont ete appelees pour filmer "le retour massif" et desamorcer la force internationale decidee si difficilement.

2. Les refugies ne fuient pas les combats: ils fuient les massacres. L'operation en cours au Zair prend la forme d'un nouveau genocide.
Des charniers importants se trouvent partout autour de Goma. Des femmes, des enfants, y cotoient des vieillards et des hommes, maisn attaches derriere le dos, une balle dans la tete. On estime a Goma que plusieurs centaines de milliers de refugies auraient deja trouve la mort depuis le debut du conflit, soit qu'ils aient ete massacres, soit qu'ils sont morts de faim et d'epuisement.
Des recits de massacres massifs arrivent de Masisi et Walikale en particulier.
Pour les rebelles, les refugies rwandais contituent un objectif militaire.

3. Les refugies ne sont aps les seuls menaces, mais le sont aussi les populations hutu. A goma en particulier, mais pas seulement, les enlevement se multiplient, et toute personne hutu influente se retrouve sur une liste rouge.
Dans tout le Masisi, des massacres massifs de populations civiles ont lieu.

INTRODUCTION

Le lundi 26 janvier 1996, deux hommmes se sont presentes a mon domicile a quelque part a Goma. L'un deux etait en tenue militaire et portait un fusil mitrailleur; l'autre etait en civil et sous sa chemise, il dissimulait un revolver, une arme en general reservee aux officiers. Ils m'ont demande par mon nom, et ma sentinelle a eu la presence d'esprit de dire que j'etais absent. Ils ont dit qu'ils reviendraient une heure plus tard.

Il n'y avait pas de temps a perdre, je rassemblais en toute hate quelques affaires, et parvenais a fuir, profitant d'un vehicule du CICR pour taverser la frontiere a Gisenyi.
Je venais d'echapper a mon assassinat. Trois Medecins du Monde Espagnols a Ruhengeri auront eu moins de chance, le 19 janvier 97; eux sont morts.

Comme moi, sans doute, ils en savaient trop, avient vu de leurs yeux trop de choses, ou risquaient d'en voir trop...

Les elements succintement mis dans cette chronique ne sont que des faits veridiques que j'ai pu observer directement. Etant donne la gravite des faits relates, ces elements ne peuvent etre donnes que sous la protection relative de l'anonymat. Des vies sont en danger, le lecteur comprendra.

1 - COMBIEN DE REFUGIES RWANDAIS ENCORE PRESENTS AU ZAIRE ?

Il y a depuis le debut du conflit toute une bataille de chiffres concernant le nombre de refugies encore presents au Zaire.
Les "rebelles" affirment depuis le debut que la quasi totalite des refugies est rentree; il ne resterait que des Interhamwe et des "ex-Far" et des genocidaires au Zaire (il serait donc legitime de les pourchasser); Kigali soutient qu'il sont plus de 500 000 a avoir traverse.

Cette bataille des chiffres est strategique: elle vise d'une part a empecher toute intervention etrangere en faveur des refugies restant (pourquoi intervenir s'il n'y a plus personne?); elle vise d'autre part a attirer sur Kigali le maximum d'aide en faveur de la "reconstruction"...

Qu'en est il effectivement du nombre des refugies encore presents au Zaire?
Prenons tout simplement le chiffres officiels du HCR.

a- Refugies de la region de Bukavu: 316.000 personnes repartis en differents camps de INERA, KASHUSHA, NYANGEZY, PANZI, KALEHE, KATANA, BIRAVA, IDJWI NORD (Bugarula) et SUD (Kashofu),

b- Refugies de la region de Goma: 715.991 personnes repartis en differents camps de MUGUNGA \ LAC VERT, KIBUMBA, KATALE, autres camps (Minova, Sake...)

c- Refugies de la region de Uvira: 180.144 personnes

Rwandais: 71.828
Burundais: 117.316
TOTAL GENERAL (Uvira, Bukavu, Goma): 1.221.483
DISONS: 1.220.000 refugies (Rwandais et Burundais) au Zaire, presents en octobre '96, au debut de la guerre.

Ne sachant pas ce que sont devenus les 117.000 refugies burundais, je ne compte que les 1.103.000 refugies rwandais.

1.103.000 refugies rwandais. Combien ont traverse?

Pendant toute la guerre, il n'y a eu qu'une seule traversee massive de refugies: le retour du camp de Mugunga, a 7km de Goma.

Mugunga etait devenu "le plus grand camp de refugies du monde"; je l'ai visite l'avant-veille de la prise de Goma, le mercredi 30 octobre. J'y ai vu l'arrivee du camp de Kibumba, pillone la veille depuis le Rwanda, par les "rebelles".
J'ai vu beaucoup de blesses plus ou mois graves, les uns blesses par balles, les autres blesses par des eclats d'obus. Impossible de preciser leur nombre qui augmentait a mesure qu'arrivaient les refugies, les malades etant orientes vers les differents centres de soin du camp. Il s'agit en tout cas de 100 personnes blessees, sans avoir pu visiter plus d'un site. Nombre de morts sur place a Kibumba impossible a preciser.

Il y avait donc sur le site de MUGUNGA 500.000 personnes, provenant des camps de Mugunga, Lac Vert (300.000), et Kibumba (197.000).
C'est une partie de ces refugies la qui a traverse les vendredi 15, samedi 16 et dimanche 17 novembre 1996.

J'ai vu une colonne relativement importante le vendredi 15, et nous estimons, a Goma, que 50 000 personnnes ont traverse ce premier jour. J'ai vu le lendemain une foule extraordinaire sur cette meme route, toute la journee. Ce samedi 16, il est sans doute passe 200.000 personnes. Dimanche 17, le flot etait de nouveau beaucoup moins important, semblable au vendredi: nous estimons que 50.000 personnes ont encore traverse.

Au total, il serait rentre selon nous 300 a 350.000 refugies en trois jour, ce qui est beaucoup, sur les 500.00 que contenait Mugunga. Cette estimation rejoint celle d'une ONG medicale bien connue.

Quatre remarques doivent etre faites:

1- Je n'ai vu passer que des familles modestes, des paysans. Je n'ai pas pu voir plusieurs familles d'intellectuels que je connaissais a Mugunga. Ces gens la ne seraient-ils pas partis en direction de Masisi?

2- X, Y et Z, instituteurs de Goma, qui s'etaient refugies avec leur familles a Matanda, sur la route de Masisi, lors de la prise de Goma, me disent avoir vu passer par Matanda, ces jours la, et en direction de Masisi, des refugies, venant de Mugunga, "en grand nombre".

3- L'operation "Liberation de Mugunga" a eu lieu devant toutes les cameras du monde, alors que se preparaient les derniers dispositifs pour l'intervention internationale imminente.

Les journalistes, jusqu'alors tres limites dans leur action (on ne leur delivrait jusqu'alors qu'un visa de deux ou quatre heures), ont eu tout loisir de filmer cet evenement marquant, visiblement destine aux opinions publiques internationales.

Le "retour massif des refugies" a desamorce tout a fait l'intervention militaire.

4- Dans l'immense foule qui a traverse, il ne s'est trouve que tres peu de monde de Katale et Kahindo. Seulement en fin de cortege dimanche. Des gens tres affaiblis par leur longue marche et vulnerables. Nous avons en particulier recueilli une jeune femme qui ne pesait pas plus de 30 Kg, a bout de forces.
Elle est morte apres deux jours.

Les semaines suivantes, de tres petits nombres de refugies seront raccompagnes au frontieres de Bukavu (Ruzizi) et Goma ("Grande Barriere") par le HCR. Il s'agit principalement de femmes, d'enfants et de vieillards. On parle de 80 000 refugies en tout.

en tout et pour tout
450 000 refugies au maximum aurait donc traverse, sur un total de 1.103.000 000 personnes...

653.000 regugies rwandais ne sont donc pas rentres au Rwanda et se trouvent donc toujours au Zaire.

Il semblerait que 200 a 250.000 refugies sont finalement arrives aux camps de TINGI-TINGI, AMISI et SHABUNDA.

Au moins 400.000 refugies rwandais manquent donc a l'appel (sans compter les 117.000 Burundais): que sont-ils devenus?

LES REFUGIES RWANDAIS FUIENT-ILS LES COMBATS OU LES MASSACRES?

S'il ne s'agissait que de combats, les refugies rwandais n'auraient pas plus de raisons de fuir que les populations Zairoises: mais les refugies hutus Rwandais fuient les massacres dont ils font l'objet de la part des "rebelles" tutsis.

Pour les rebelles Tutsis, les refugies Hutus constituent un objectif militaire.

La dialectique des "rebelles", consiste a dire que les refugies qui ne sont pas rentres au Rwanda, sont tous des "genocidaire".
Il est evident que ceux qui ont participe aux atrocites de 1994 ne pouvaient en aucun cas rentrer au Rwanda, mais beaucoup d'innocents ne le pouvaient pas non plus (Le HCR estime en general que 7% des refugies ont participe aux tueries).
Les intellectuels, par exemple, les gens des administrations, toute personne qui possedait quelques biens, en particulier dans les villes. Tous ceux-la craignaient de retourner.

Beaucoup enfin n'ont pas pu rentrer, tenus en otage par les ex- FAR qui ont cru utiliser leurs populations comme bouclier. Les pressions dans les camps etaient soit physiques (menaces), soit psychologiaues (peur).

Appeler "genocidaires" tout refugie hutu vise a legitimer aux yeux de l'opinion internationale, mais aussi des propres troupes "rebelles", l'utilisation de la force, voire l'elimination totale de ces refugies. Pendant le genocide de '94, les Interahamwe avaient utilise le mot "Inyenzi" (cancrelas), pour designer les Tutsi et les tuer la conscience plus legere.

Des charniers tres nombreux temoignent de la volonte systematique d'en finir avec les refugies, et de l'objectif militaire que ces refugies ont represente depuis le debut de la guerre.
Ces charniers existent partout, mais ils sont toujours caches et tres difficiles d'acces. Il est evidemment extremement dangereux d'etre surpris par les rebelles evoluant dans une de ces zones: c'est l'execution immediate.

J'ai vu au dessus de Mugunga, a environ une heure trente de marche, trois charniers de 12, 10 et 30 corps environ. Il s'agit d'hommes, de femmes, parfois leur bebe dans le dos, d'enfants, de vieillards. Tous ont une balle dans la tete, y compris le nourrisson.

A Kibumba, j'ai vu au fond du camp, sur la frontiere Rwandaise, dans le petit bois qui sert de limite, des "steres" de squelettes. Il s'agissait de trois emplacements de cinquante a cent squelettes par site. La aussi, les gens ont une balle dans la tete. Une fouille methodique permettrait surement la decouverte d'autres sites, mais qui peut se riquer longtemps sur un lieu aussi dangereux?

Le 26 novembre, dans la foret au dessus de Sake, sur le sentier qui descend, apres cinq jours de marche du camp de Kahindo, (sur la route de Rutshuru), j'ai trouve un homme mourant, abandonne sur une civiere de fortune. Cet hommme avait de profondes blessures a la machette sur tout le crane, par l'une d'elles on pouvait voir le cerveau. Nous lui demandons qui lui a fait cela: "ce sont les Grands Hommes" dit-il; nous lui demandons ou sont les siens; il nous repond que sa femme et tous ses enfants ont ete acheves a la machette quelques jours auparavant dans la foret, par le "rebelles", qui voulaient les empecher de regagner Mugunga.
Ses freres, trop affaiblis, n'en pouvaient plus de porter son brancard, et avaient du l'abandonner. Plus haut, nous trouvons les restes d'un camp abandonne entoute hate. Une femme enceinte y repose, une balle dans la tete. Elle n'a pu fuir.

Ces corps parsement le sentier qui descend de Kahindo et Katale. Le 24 decembre, deux rebelles enlevent sur ce meme sentier, deux jeunes hutu zairois, du village de R. Il reviennent deux jours plus tard, apres avoir ete severement tortures. Ils sont maintenant les guides de 70 a cent "rebelles" tuti (un camion et une camionnette) tres armes. Ils les conduisent sur les lieux de trois petits camps caches dans la foret. Resultat: "Waliwauwa wotw, wale wakimbizi, wote kabis, hakuna hata mmoja aliyepona" (ils ont tous ete tues, tous vraiment, ces refugies, pas un qui ne s'en soit tire...", me dit le "guide" revenu. Il s'agirait de trois petits camps d'une centaine de personnes chacun.

Beaucoup de refugies de Katale sont encore caches dans la foret du parc Virunga, bloques a l'entree et a la sortie par des charniers et des operations militaires. Une de ces operations a eu lieu le 30 janvier 96. 250 militaires "rebelles" ont ete deposes dans l'ancien camp de Katale, a l'entree de la foret, pour en faire le nettoyage.
Il est difficile d'estimer le nombre de refugies encore caches la, mais il y a entre Katale et Kahindo plus de 300.000 refugies. On estime qu'entre 30 et 80.000 d'entre eux ont pu regagner le Rwanda.

Beaucoup meurent dans la foret, ou ils se nourrissent depuis des mois maintenant de plantes et boivent l'eau de pluie... quand il pleut. Nous avons par exemple rencontre dans cette foret, une jeune femme absolument epuisee et deshydratee. Elle n'en pouvait plus et, malgre nos efforts, meurt dans nos mains.
Plus haut, sous une cabane de branches, le corps d'une femme, morte d'epuisement en train d'accoucher. A ses pieds, le corps sans vie d'un enfant de quatre ans, le sien sans doute, mort de solitude.

Aider ces gens la est considere chez les rebelles comme une aide a l'ennemi, un soutien actif aux Interahamwe.

Il a etedit que les refugies restes dans les forets zairoises etaient en fin de compte dans leur milieu naturel.
Je peux temoigner, pour y avoir ete des dizaines de fois, que c'est faux. Les forets zairoises de Goma sont implantees sur un terrain volcanique, ou l'on ne trouve aucune source, ni aucun gibier, ni aucun fruit, ni aucune nourriture d'aucune sorte.
Condamner les refugies a rester dans ces forets, c'est les condamner a la mort. Mr Boutros-Ghali a parle de "genocide par la faim".

Le 17 decembre 1996, dans la reunion hebdomadaire confidentielle des responsables des ONG, EUB, l'association locale chargee de collecter les cadavres sur les grands axes (Goma\Sake; Goma\Rutshuru) annonce qu'elle a deja pu ramasser 6537 cadavres, dont 2.743 pour la seule ville de Goma. EUB n'a pas pour mission de rechercher les corps dans la brousse.

Sur la route entre Kibumba et Rutshuru, quand on traverse la petite foret apres Munigi, on est terriblement gene (il faut alors fermer toutes les fenetres...) par une terrible odeur de cadavres. Les semaines passent, mais cette odeur ne s'estompe pas, comme si les cadavres etaient "renouveles" au fur et a mesure. Cette route est la seule menant a Katale. Les refugies qui se risquent a prendre cette route a pieds pour rentrer au Rwanda sont detournes vers cette foret et executes. Des soldats patrouillent continuellement a ce niveau.

Un "rebelle" tutsi ne s'en cache pas; a un barrage routier a Rumangabo, il me declare le 19 dec.: "ces refugies sont une peste, si je les rencontre en brousse, je dois les eliminer"...

Le meme jour 19 dec., sur la route venant de Tongo, et se dirigeant vers Kalengera, j'ai vu un petit camion transportant des refugies, une vingtaine, avec quatre rebelles armes. Les refugies criaient et pleuraient. Notre vehicule suivait le leur.
Au petit embranchement ou part l'ancienne route sur la droite, maintenant coupee par la coulee de lave, le camion a pris a droite, vers ce cul-de-sac. Nous avons pris a gauche, vers la route goudronnee Rutshuru- Goma: ces gens partaient vers le lieu discret de leur execution; il etait environ 18 heures.

Au camp de Katale, quand on entre au niveau de la riviere sur la gauche, passe le camp lui meme, apres environ 30 mn de marche, en entrant dans la brousse et en continuant vers l'ouest, j'ai vu des charniers nombreux et importants. Un premier contenait environ 200 personnes, toutes tuees a l'arme automtique. Un deuxieme, un peu plus loin, plus important, de 300 personnes, certaines roulees dans des sheetings (pour le transport?) suivi encore de deux autres de meme importance. Beaucoup de femmes, d'enfants, tous une balle dans la tete. Des hommes, tues aussi d'une balle dans la tete ont les bras attaches dans le dos.

Notre guide, un refugie, nous assure que deux autres charniers se trouvent a proximite, et des charniers beaucoup plus importants, contenant "des milliers de corps" se trouvent a plusieurs heures de marche, dans la foret. Il propose de nous y accompagner. Nous devons refuser, pour d'evidente raisons de securite.

Sur la pleine de lave derriere les camps de Katale et Kahindo, en partant vers l'ouest, dans la direction opposee au Rwanda, on peut voir des milliers de squelettes, fauches a la mitraillette dans leur fuite, puis recouverts de sheetings auquels on a mis le feu pour essayer de faire disparaitre ces restes.

J'ai rencontre a l'hopital un refugie soigne de six impacts de balles dans le dos. Cet homme avait ete laisse pour mort parmi les cadavres; il pu ramper jusqu'au vehicule d'un organisme et etre evacue vers Goma. Il racconte que les "rebelles" tutsi ont encercle son quartier dans le camp de Katale; ils ont separe hommes et femmes, les ont fait coucher au sol sur le ventre, et ont ouvert le feu a la mitraillette. Combien sont morts, il ne sait le dire, mais un quartier dans les camps pouvait compter deux a trois mille refugies. Ceci a eu lieu debut novembre.

J'ai rencontre encore a Mugunga un homme qui a tenu le petit journal de son errance depuis l'attaque du camp de Katale, jusqu'a celui de Mugunga. Ce temoignage a aussi ete recueilli par une ONG medicale bien connue. L'homme raconte comment ils ont quitte Katale sous le feu nourri des armes lourdes et legeres, comment ils ont fui vers la foret dans la panique. La foret, ou les attendaient de nouveau ces "rebelles"; retour vers Katale, les "rebelles" de nouveau, et ceci par trois fois avant que son groupe de refugies auquel il appartenait, etait survole par un petit avion de reconnaissance.

Nous avons trouve au dessus de Mugunga, a cinq heures de marches de la route en partant vers le nord, en direction de Katale par la foret, derriere le volcan Nyaragongo, un petit camp d'une cinquantaine de refugies. Parmi eux se trouvaient 17 personnes, rescapees d'un massacre a Kahindo. Les 3500 personnnes que constituaient leur quartier dans le camp avait ete encercle par des soldats d'abord amicaux; ils avaient escorte les refugies en direction du Rwanda, mais par un chemin de traverse. Une fois dans la brousse, les rebelles ont ouvert le feu, tuant tout le monde, a l'exception de ces 17 refugies, qui maintenant affoles, ne voulaient plus rentrer au Rwanda. Parmis ces gens se trouvaient un petit garcon qui avait perdu dans cette tuerie ses 7 frere et ses parents.

A Tongo, j'ai rencontre un paysan qui m'a explique que un mois avant que les evenements ne commencent, les soldats tutsis etaient deja a Tongo et qu'ils ont paye, en US $, les paysans pour qu'ils creusent des fosses dans la brousse, profondes et bien cachees.

Dans un dispensaire de Goma, j'ai rencontre une petite fille de 12 ans, severement brulee sur toute la moitie de son corps. Elle arrivait de Bukavu. Dans leur fuite, son camp avait ete victime d'une attaque: elle et sa maman avaient ete roulees dans un sheeting auquel on avait mis le feu. Sa maman en est morte.

J'ai encore rencontre le 24 decembre a Goma un jeune Rwandais des camps d'Idjwi, le camp de Bugarula. il a fuit en pirogue a travers le lac vers les berges de Nyabibwe. Trop tard sans doute: les "rebelles" les y attendaient deja. Ces rebelles ont noye de leurs mains ses parents, freres et soeurs. Lui seul pu nager vers le large et regagner Goma. Il rentrait maintenant au Rwanda.

Nous avons aide a acheminer les refugies en provenance de Bukavu, de Sake a Goma. Nous avons ete frappe, de meme que tous les organismes presents, de ne trouver parmi ces refugies que des femmes, des vieillards et des enfants de sexe feminin. On m'a plus tard explique a Nyabibwe, que les rebelles triaient les refugies avant de les laisser sortir de la foret: tout garcon, a partir de 10 ans et au dela etait tue; on ne laissait passer que les femmes et les vieux. Ce que Canal Afrique a confirme dans une edition du 23 Janvier: il n'y aurait que 30% d'hommes (des vieux) dans les refugies rentres au Rwanda.

Dans la region de Bukavu, a Burhale, debut novembre, l'abbe Jean- Claude Buhendwa, un jeune pretre Mushi ordonne en aout de cette annee a ete abattu alors qu'il cherchait a s'interposer entre les rebelles et un groupe de refugies, de familles essentiellement qui avaient fuit le camp de Kashusha en direction de Ngweshe. La croix rouge a compte la plus de 600 victimes, mais un autre pretre, qui accompagnait son confrere et qui a pu se cacher dans la bannaneraie, affirme que ce sont plus de 2000 personnes qui ont ete achevees. Puis les paysans ont ete requisitionnes pour enterrer dans des fosses hatives un maximum de cadavres avant l'arrivee de la croix rouge.

Je pourrais multiplier les exemples: j'ai surtout voulu donner des elements dont nous avons ete temoins directs. Mais je n'ai jamais eu acces a toute la zone de Masisi, ou celle de Walikale, dont les rebelles bloquent tous les acces aux etrangers. Les temoignages qui nous en parviennent font etat de meme volonte d'en finir avec les refugies.

Les massacres les plus massifs auraient eu lieu dans la zone de Walikale, ou selon un temoin digne de foi et present sur place, "des dizaines de millier de refugies on ete elimines".

On est frappe de la ressemblance de ces recits, la similarite des experiences. Du nord au sud, les memes methodes ont ete employees, systematiquement et de facon planifiee.

Au lendemain de la prise de Goma, les bureaux du HCR-Goma, a la BDGL (Banque developpement Grands Lacs), ont ete entierement vides de tout le materiel sensible, notemment tout le materiel informatique. Toutes les listes de tous les refugies sont alors parties vers Gisenyi, et avec elles tous les renseignements confidentiels que ces reefugies avaient consenti a donner pour avoir droit a un peu de nourriture.

Le 20 decembre 96, m'adressant a un tres haut responsable au HCR- Goma, je lui reproche de ne rien faire pour denoncer cette situation de tueries. Il me repond: "Nous savons tres bien que les refugies sont assassines par dizaines de millier dans la foret, mais que pouvons nous faire, nous ne sommes pas une armee; c'etait a la force d'interposition d'agir"....
Pourquoi en tout cas ce silence?...

Les refugies assassines par dizaines de milliers: on estime en general a Goma que ce sont plusieurs centaines de milliers de refugies qui sont deja morts, soit massacres - pour la pluspart -, soit tues par la faim, l'epuisement, la maladie...
la soif.

Ceci expliquerait pourquoi en definitive 200 a 250.000 refugies rwandais se trouvent a Tingi-Tingi, Amisi et Shabunda, sur les 653.000 refugies rwandais qui n'ont pas traverse. (Nous excluons une fois encore les 117.000 refugies burundais)

Avec l'inexorable avancee des tropupes "rebelles" vers Lubutu, il est de plus en plus probable qu'il faudra bientot ajouter a cette funeste liste les 200.000 refgugies des villes de Shabunda, deja tombee a ce jour, et Tingi-Tingi.
Les organismes ont deja fui. Le camp, deja probablement encercle depuis plusieurs jours, sera alors "nettoye", pour reprendre l'expression de Mr Kabila.

Le probleme des genocidaires de '94 sera-t-il alors enfin termine? Rien n'est moins sur, car les genocidaires, principalement les Interahamwe, ex-FAR et ex-Gardes presidentielles, auxquels on impute en general la majorite des massacres, sont jeunes et forts; ils courent vite et ont vite fait de disparaitre dans la brousse en cas d'attaque.

Les refugies que l'on massacre ne sont pas les tueurs: ce sont des familles qui fuient au rythme de leurs enfants, et fuient en groupe, croyant trouver la davantage de securite.

3 - LES POPULATIONS HUTUS ZAIROISES SONT MENACEES

Des leur entree dans Goma, le vendredi 1e novembre 96, les soldats se sont mis a la recherche des soldats Zairois et des refugies Hutus. Tout refugie trouve devait etre abbattu. Tout refugie etait appelle "Interhamwe".

Ce schema est souvent devenu caricatural. Une famille hutu zairoise que je connais bien a ainsi du se debarasser en toute hate d'un enfant de 8 ans. Cet enfant avait ete adopte par cette famille a l'age de 6 ans, lors de l'exode rwandais de '94. Deux soldats sont donc venus le 6 janvier, menacant la famille puisqu'elle hebergeait "un Interahamwe".

Tres vite, ce sont aussi les Hutus zairois qui ont ete recherches. Eux n'etaient pas Interhamwe, mais "Magrivi". Magrivi est une "mutuelle" hutu, comme toutes les tribus en ont devellope une, apres la Conference Nationale. Ces Mutuelles vehiculaient souvent des idees tribales, surtout dernierement, avec la montee de tensions et la guerre Rwandaise

Les enlevements se sont multiplies dans Goma tout particulierement, et dans l'ensemble du nord Kivu en general,ou la communaute Hutu est forte de 500 a 700 000 personnes, selon les estimations.

A Goma, est directement menacee toute personne ayant etudiee, ou bien ayant quelques biens, ou quelqu'influence que ce soit.
Rafael M. par exemple est recherche parce qu'il a des contacts en Europe, ou il a fait ses etudes. Ces contacts le rendent influent: il doit disparaitre. Etant introuvable, c'est maintenant sa femme qui est visee; les militaires la cherchent, des amis la cachent. Jusqu'a quand?

Le vieux R. est aussi recherche. il etait directeur d'ecole a Birambizo, dans le Masisi; il est Hutu. Des soldats sont venus chez lui par trois fois, de jour, arme. La nuit du 17 decembre, ils sont venus de nouveau; ils etaient 7, fortement armes. Ils ont frappe chez lui, a minuit, et l'ont appelle par son nom. Lui ne repondait pas, et faisait taire ses enfants. Depites de leur infortune, les militaires se tournent alors vers son voisin, un jeune de 19 ans, hutu lui aussi, proprietaire d'une petite boutique. Ils pillent sa boutique, puis lui logent une balle dns la tete. R. a demenage, et vit dans la peur. Ceci se passait au quartier "Mabanga".

M. est commercant, hutu, et son outil de travail est un pick-up Toyota. Le 12 Janvier, les soldats viennent chez lui dans l'apres midi. Ils veulent lui acheter son vehicule et lui en proposent 2.000 $. M. refuse, d'une part parce que le prix est derisoire, d'autre part parce que sans vehicule, M. n'a pas non plus de travail. Les soldats partent. A huit heure le soir du meme jour, ils reviennent et forcent la porte. M. a le temps de sortir par la porte de derriere: ils voient dans la cuisine son fils, 20 ans, et l'abbattent sans autre forme de proces.

Beaucoup de gens sont enleves de nuit, certains de jour. Les gens disparaissent en general definitivement, mais certains reviennent de leur enlevement, apres avoir ete battus et mis en garde.
Certains sont enleves, relaches, enleves de nouveau puis disparaissent. Des temoins proches des frontieres parlent de voitures "nombreuses" traversant de nuit vers le Rwanda, alors que sont fermees les frontieres. Certains hutu sont directement abbattus au Zaire meme, probablement sur la route de Rutshuru, dans les brousses de Munigi, de part et d'autre de la route.

A Goma et Rutshuru, ces enlevements ont pris ces dernieres semaines des proportions vraiment inquietantes. Mais Bukavu meme n'est pas epargne: sont recherches les derniers hutus qui s'y cachent encore, qu'ils soient Rwandais ou Zairois, mais aussi des Zairois qui ont travaille, dans une ONG par exemple, pour les refugies.

On estime que 4 a 5 personnes disparaissent par nuit a Bukavu; ils seraient une quarantaine par semaine a Goma.

La chasse aux Hutus a lieu dans les villes, mais c'est surtout dans le Masisi que cette chasse est massive.
En effet, la communaute hutu du Masisi est tres importante, facilement identifiable parcequ'elle est en general rassemblee en villages de la meme tribu. Enfin, toute au long de la triste guerre du Masisi, activee depuis l'exode Rwandais de 94, cette population s'est illustree parfois par des actes de violence peu glorieux, tournes contre les Tutsis et les hundais, aboutissant finalement au depart de tous les tutsis du Masisi, parfois meme, dans certains cas, a leur massacres. (Mokoto par ex, Avril 96)

Les "rebelles" se sont donc livre a des massacres methodiques, et d'une tres grande violence. A Jomba, par exemple, ils sont entres, venant du Rwanda et ont tue toute personne qu'ils rencontraient. Ils n'ont le plus souvent rencontre que des mamans et leurs enfants, les jeunes ayant pu fuir: ce sont ces mamans que l'on a execute, comme la mere et la petite soeur de R.
Cette vague d'execution sommaire a dure trois semaine environ, debut novembre.

Le cure lui meme, personnage influent, connu pour sa moderation a ete enleve, avec 4 religeuses responsable de l'institut secondaire de Jomba, et emmene en direction de l'Uganda (poste frontiere de Bonagana. On ne les a jamais plus revus.

Dans le village de Chanzu, paroisse de Jomba, les gens ont ete appeles a un meeting politique, ou l'on allait leur expliquer le programme du nouveau gouvernement. La reunion a commencee, on a ferme les portes et tue a la petite houe (Agafunyi, en Kinya- Rwanda) chaque personne d'un coup dans le front. Les villageois restants ont compte 207 personnnes. Les corps ont ete jetes, les uns dans une fosse commune, les autres dans des toilettes, la tete la premiere.

Le meme scenario s'est reproduit dans toutes les secteurs de Masisi, Matanda, Nyakariba, Birambizo, Katwe, Bibwe, Rutshuru, Rugari.
A Birambizo, un "rebelle" a ete blesse par un combattant hutu debut janvier. Les soldats ont encercle le village, rassemble sur la place, devant l'eglise, toute la population. On a alors separe les parents de leurs enfants. Les rebelles ont alors tue tous les enfants devant leurs parents, puis jete les corps derriere l'eglise. Il fallait alors payer 3$ pour pouvoir recuperer le cadavre et l'enterrer: une majorite de parents, cultivateurs, n'ont pu trouver cette somme.

Dans plusieurs endroits, les massacres se sont accompagnes de profanation du sacre, et l'on a pu voir a Kyakiriba, ou deux jeunes abbes hutus ont ete assassines le 24 decembre 96, les "rebelles" se promener dans des aubes de pretres les jours suivants. Le meme temoignage vient aussi de Bukavu, Panzi.
A Jomba, le tabernacle a ete mitraille.

Partout, sont specialement vises les religieux et leurs familles, parce qu'ils sont influents dans la societe. Une soeur a ainsi perdu 18 membres de sa famille a Matanda, et 15 a Nyakariba.
Leurs noms sont en hauts des listes qui circulent a Goma. L'existance de ces listes me sera confirmee par des gens proches du nouveau regime a Goma, dans une conversation confidentielle.

le 23 janvier. Car cette epuration ne tient pas du simple reglement de comptes observe dans toutes les guerres, quand le vainqueur, les premiers jours, elimine ses anciens adversaires: les Hutu sont systematiquement vises, les moderes comme les extremistes. Ce systemisme est atteste par la presence de ces listes de noms.

4 - COMMENT EXPLIQUER LES SILENCE DES MEDIAS?

Le lecteur pourra se demander comment, compte tenu de l'extreme gravite des elements rapportes ici, la presse internationale ne s'en est que tres peu fait l'echo.

Il y a plusieurs raisons a cela:

1. La presse a considere comme reglee la question des refugies quand ils sont rentres massivement de Mugunga, le 15, 16, 17 novembre. Il ne s'est ensuite plus trouve que tres peu de journalistes a Goma et Bukavu. L'actualite s'etait deja deplacee en Tanzanie, ou se preparait un autre retour en tres grand nombre.

La surenchere mediatique fait que chacun a donne des chiffres de plus en plus forts... et de plus en plus fantaisistes. G. Perez, FRI, a par exemple parle de 400.000 refugies attendant en ville de pouvoir traverser le lendemain, au soir du samedi 16, soit deux fois la population de la ville! J'etais la; j'estime qu'ils n'etaient pas plus de 25.000.

2. Les "rebelles" considerent, a juste raison, que la guerre se joue sur le front des medias, comme elle se joue sur le champ de bataille, car c'est en Occident (Europe, Amerique du Nord) que se nouent les alliances determinantes pour la victoire sur le terrain.

Les acces aux zones de combats ou bien toute autre zone sensible sont strictement controles.

Pae exemple, tous les jorunalistes et organismes presents a Goma ont ete evacues des locaux du HCR ou ils s'etaient rassembles, le vendredi 1er novembre, par le Major David de l'APR, alors que les combats faisaient rage dans Goma.

Il ne restait alors dans Goma que tres peu d'expatries; les cadavres jonchaient la ville (plus de 2.500 ont ete recenses). Les journalistes etaient tous a la frontiere, empeches d'entrer, jusqu'a ce que tous les corps aient ete enterres, ce qui prit 4 jours. Ils ont alors investi la ville, CNN en tete, et faisaient la queue pour filmer a tour de role un cadavre en decomposition, tenue militaire, oublie (?) au niveau du rond-point Signers.

La route de Mugunga a ete fermee jusqu'a la "liberation" du camp, ou, comme on l'a vu, toutes les cameras du monde ont ete conviees.

La route de Rutshuru a ete fermee a tout occidental (le Zairois pouvaient passer) jusqu'au 6 decembre 1996. Hors cette route conduit aux camps de Kibumba, Katale, Kahindo (environ 500.000 refugies). On ne sait rien de ce qui est arrive au refugies de Katale et Kahindo, sinon que les camps ont ete bombardes. Ou sont ces refugies? Personne ne semble se le demander.

Aucun journqliste n'a pu depasser Sake pour se rendre a Masisi, par exemple, ou Walikale, alors que chacun sait que ce sont ces routes que les refugies ont pris pour aller vers Kisangani.

Les journalistes ont du se contenter jusuq'a present des communiques des etats-majors, retransis litteralement sue les ondes, faute de mieux. Ce cas de figure s'etaiet deja presente pendant la guerre du Golfe. Une guerre au XX eme siecle doit d'abord etre mediatique. Les "rebelles" distribuent aux redactions des dossiers de presse tres bien faits, avec toutes statistiques etablies.

3. Les temoins directs doivent se taire; ou ne peuvent parler que sous le couvert de l'anonymat. En parlant, ils risquent la mort ou l'expulsion, ou ils font prendre des risques au personnel reste sur place.

Les journalistes eux-memes, ceux qui cherchent l'information en dehors des etats-majors, se sentent vises, et n'hesitent pas a soumettre leurs articles aux nouvelles autorites pour reaction avant publication.

Ils font courir, par leur simple presence, de grands dangers aux temoins dans de telles situations. S'ils interrogent quelqu'un en public, dans une foule, une personne de cette foule est en general chargee de surveiller les propos tenus: les gens le savent et se taisent. Si bien qu'il leur est, en fait, difficile d'obtenir des informations cruciales de la population.

Toutes ces raisons rendent bien difficile une information objective, et imposent au temoin direct une grande prudence, en depit de la tres grande gravite de la situation.

J'ai ete tres surpris de voir, lors de contacts obtenus a un haut niveau politique, en Europe, qu'en general, on est tres au courant de la situation dans les chancelleries, meme si on n'en connait pas l'exacte ampleur.

Peut-on croire le general Baril quand il a declare, mi-decembre, a Sake, qu'il ne restait plus un seul refugie rwandais au Zaire, puisque ayant passe une demi journee sur la route de Masisi, dans le vehicule d'un officier "rebelle", il n'en avait pas croise un seul... Cette declaration, qui aura scelle la fin de la Force multinationale, aura cause la mort de milliers d'entre eux.
Pouvait-il l'ignorer?

Les calculs diplomatiques empechent de bouger, de meme, paradoxalement que le silence des medias.

Finalement, tout le monde sait, mais tout le monde se tait. Et les refugies meurent, les femmes et les enfants d'abord.

Fait en Europe, le 19 fevrier 1997

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