MESSAGE DE L'USUMA ET DE L'ASUMA AUX RELIGIEUX ET AUX RELIGIEUSES - 02 février 2001 : Journée de la vie consacrée Kinshasa, le 7 février 2001 - (D.I.A.) - A l'occasion de la journée de la vie consacrée à Kinshasa, les religieuses et les religieux réunis respectivement dans l'Union des supérieures majeures (USUMA) et dans l'Association des supérieurs majeurs (ASUMA) ont adressé un message à leurs confrères et consoeurs et dont l'agence DIA publie le texte. A/ CONTEXTE SOCIO-RELIGIEUX Si nous jetons un regard sur le monde dans lequel nous avons à vivre aujourd'hui le charisme de la vie consacrée au Congo, un seul mot vient à l'esprit : Crise. La société congolaise est en crise généralisée qui rend notre avenir incertain et freine notre Exode : crise sociale, crise économique, crise politique, crise des institutions, crise morale, crise de modèle, crise de l'homme, crise du religieux voire même, crise de Dieu. Comme l'ont bien souligné les Supérieurs Majeurs dans leur message : " L'entrave principale est évidemment la guerre, avec ses causes bien connues : la conquête du pouvoir, le pillage des richesses de notre sol et de notre sous-sol, la violence et la haine, le tribalisme, le non respect du bien commun, la mégestion, le déplacement des populations, la situation précaire des écoles et des infrastructures sanitaires ". Sur le plan moral et religieux, nous assistons impuissants à la pêche en eau trouble de certains mouvements mystico-religieux qui cherchent à profiter du désarroi général, à exploiter les peurs nées de l'avenir incertain et de la précarité de la vie. Tous les moyens sont bons pour gagner le pouvoir et l'avoir. Ainsi, sont de retour en force la sorcellerie, l'occultisme, la superstition, la magie, la rose croix, les sectes … Comme dans la vision du chapitre 6 de l'Apocalypse, on se croirait au Congo comme sur les landes désolées de la terre où chevauchent les chevaliers qui, tour à tour, tiennent la couronne du pouvoir triomphateur (l'ange du premier sceau), l'épée de la violence (2ème sceau), la balance de la faim, de la pauvreté et de la misère (3ème sceau), la faux affilée de la mort et de l'Hadès (4ème) (cf. Ap 6,1-8). C'est dans ce contexte de crise, au milieu de ces hommes et ces femmes en crise que nous sommes appelés à vivre le charisme de la vie consacrée. C'est avec ces jeunes gens et jeunes filles en crise, issus d'une société en crise que nous devons former les consacrés du troisième millénaire. Nous pouvons à juste titre nous demander quelle est la perception que cette société en crise a de nous " Religieux dans la cité " ? B/ QUI SOMMES-NOUS EN DEFINITIVE ? Pour répondre à cette question, il faut distinguer la perception de la société autour de nous de la perception qu'ont les consacrés de leur propre vie. 1. D'après la société ambiante -D'après ce que les gens disent au positif, les religieux sont globalement perçus comme des consacrés et mis à part pour le Royaume de Dieu. Assidus à la prière, ils intercèdent pour le salut du monde. Ils sont généralement considérés comme des personnes dévouées, serviables, honnêtes et justes, engagées au côté des plus défavorisés dont ils partagent les joies et les peines. A cause de la crise économique, les religieux sont de plus en plus regardés comme des puissances financières à qui recourir pour des difficultés matérielles. -Au négatif, il plane un flou plus ou moins total sur notre vraie identité et sur la réalité de nos trois vœux. Un flou entretenu d'abord par les contre-témoignages dans la vie des religieux eux mêmes. Ensuite par la multiplication des congrégations des ex- religieux (ses) au mépris des directives claires de la hiérarchie, des ex-frères et ex-sœurs toujours en habit (ou symbole religieux) mais dont la conduite est aux antipodes des valeurs de la vie religieuse, semant ainsi la confusion dans la tête des fidèles sur notre identité réelle. 2. D'après les religieux eux-mêmes -Dans notre conscience des religieux, il règne une confusion sur notre propre identité et sur notre mission dans l'Eglise. La frontière entre le sacré (et donc séparé) et le profane tend à disparaître, nous vivons comme tout le monde, nous parlons comme tout le monde, nous fêtons et dansons comme tout le monde, etc. L'accent est mis sur le paraître souvent démenti par les contre-témoignages de notre vie. Nous admettons des jeunes au noviciat sans tenir compte de la rectitude de leur foi chrétienne, de leur comportement morale. Etant nous-mêmes des religieux en crise d'identité, comment pouvons-nous transmettre aux jeunes en formation l'identité réelle du consacré ? Ne risquons-nous pas de transmettre aux jeunes notre propre crise (pauvreté spirituelle) et préparer ainsi la ruine de la vie consacrée ? -Décentrement par rapport à la personne de Jésus-Christ. Chez certains religieux, la vie consacrée a cessé d'être une " sequella Christi " pour devenir une " sequella autre chose ". Le Christ n'étant plus au centre de leur vie quotidienne, ils se sont érigé des vaux d'or supposés leur assurer sécurité, protection, chance, pouvoir et avoir. Et puisque le propre des vaux d'or est d'entretenir les illusions, ces religieux ne tardent pas à mélanger les forces (croyances) et atterrissent vite dans l'occultisme, la sorcellerie, la magie, la rose croix et d'autres charlatans trafiquants des promesses de bonheurs illusoires. Les chapitres électifs et les nominations sont les moments propices à tous les coups bas dans lesquels la compétence de l'Esprit Saint est mise à rude épreuve si elle n'est pas tout simplement contestée. -Du chacun pour soi. La tendance au repli sur soi guette aussi bien les religieux comme individus que les congrégations comme institutions. Le religieux dépourvu du sens communautaire s'imagine que tout va bien dans le meilleur du monde si ses intérêts privés sont bien servis. Il s'entoure d'une carapace d'indifférence et devient insensible au cri et à la détresse des autres. De même, la congrégation dépourvue d'esprit d'Eglise ne voit pas plus loin que les frontières de son institut et de ses œuvres qu'elle considère comme l'Eglise. Versant dans un congrégationnisme séparatiste qui bloque le sens d'Eglise-communion, elle s'isole, privant ainsi les autres de ses talents. C/ QUELS RELIGIEUX VOULONS-NOUS ETRE ? 1. Consacrés pour le Royaume La grâce de la consécration transforme la qualité inhérente de la créature, la rendant belle, attrayante et aimable. Ainsi on parle de la grâce qui est " répandue sur les lèvres " de l'époux royal, le plus beau des enfants des hommes (Ps 45,3). Pareillement une bonne épouse est comme une " biche aimable et une gracieuse gazelle (Prov 5,19). Marie est pleine de la faveur divine, elle est pleine de grâce et donc pleine de beauté. Les consacrés sont des séparés, mis à part pour le Royaume. Ils le sont avant tout par leur attachement à la personne du Christ, par la sainteté de leur vie, mais aussi par le caractère distinctif et reconnaissable de signe qu'ils portent. -Pour se prépare à un genre de vie aussi saint, aussi élevé, le diplôme ne peut pas être le seul critère déterminant. Si la vie religieuse est une donation totale, nous devons mettre l'accent sur les dispositions intérieures du candidat à imiter le Christ, notre modèle. Tout l'institut - pas seulement les maisons de formation - doit devenir une école de sainteté. Une école où l'on apprend à aimer et à servir Jésus et ses frères. -Les signes distinctifs de notre consécration, visibles à l'extérieur sont l'habit religieux, le foulard, la soutane, la croix, etc. Nous n'acceptons pas par conséquent que ces signes soient portés par des personnes qui n'appartiennent pas à notre genre de vie par un attachement canonique à une congrégation. Il n'existe pas de religieux isolés et indépendants. Nous voulons remercier ici son Eminence qui, par sa déclaration du 30 novembre 2000, a clarifié une fois pour toute le cas des ex-religieuses qui continuaient à porter l'habit religieux malgré leur séparation d'avec l'institut (Document annexe). En tant que Asuma-Usuma, nous veillerons de notre part pour que cette déclaration soit réellement suivie d'effet. -Nous croyons en l'Esprit Saint qui inspire qui il veut, de la manière qu'il veut à faire ce qu'il veut. Nous n'ignorons pas que des consacrés en rupture de communion avec leurs instituts sont à l'origine de nouvelles congrégations dont l'Eglise est aujourd'hui fière (Marie de la Passion : Franciscaines Missionnaires de Marie ; Jean de la Croix : Carmes Déchaux). Nous n'avons donc pas la prétention de faire obstruction à l'action de l'Esprit. Mais nous croyons aussi que l'Esprit Saint ne travaille pas dans le désordre, et surtout pas contre l'Eglise de Jésus-Christ. Nous lançons un vibrant appel à un peu plus de discernement et de l'esprit d'Eglise de la part des religieux fondateurs des congrégations des ex-religieuses, des religieuses fondatrices, des ex-religieuses fondatrices de nouvelles congrégations. Nous nous adressons également à la hiérarchie, aux Evêques, pour plus de prudence dans la reconnaissance et l'autorisation de fonctionnement accordée à ces expériences. Avec charité et fermeté, il faut bien séparer le bon grain de l'ivraie. 2. Signe prophétique dans l'Eglise En accord avec l'Evangile, le devoir de l'Eglise est d'être différente des communautés civiles (Mt 20,24). L'Eglise est appelée à créer une " société de contradiction ", une vraie alternative, l'alternative de Dieu : le Règne de Dieu. Mais puisque l'Eglise aussi est soumise aux lois de l'adaptation, il est nécessaire, de façon continuelle, qu'il y ait des groupes, des communautés, des congrégations, des Ordres qui développent cette alternative, et qui rappellent l'Eglise à sa vocation originelle. C'est cela ce que nous appelons " la fonction prophétique ". En étudiant l'histoire de l'Eglise, on remarque que le surgissement de nouvelles congrégations religieuses est toujours dû à la nécessité de développer cette fonction prophétique. -Dans les époques d'affaiblissement de la foi, il surgit toujours des personnalités qui reviennent au radicalisme évangélique à travers une " conversion " à un style déterminé de " vie religieuse ". -De même, dans les périodes de grandes crises sociales, il surgit des hommes et des femmes avec la sensibilité suffisante pour répondre à ces situations de crises à travers de nouvelles formes de vie et d'action chrétienne. -En général, ces hommes et femmes finissent par donner naissance à une forme de vie dans l'Eglise, qui est approuvée et reconnue par elle pour un projet et un travail spécifique à l'intérieur de l'Eglise. Faisant partie de la grande histoire de la vie religieuse, nous sommes appelés à vivre sa fonction prophétique à l'intérieur de notre Eglise locale, sinon il cesserait d'avoir un sens. Comme les prophètes, le consacré doit annoncer et dénoncer en parole mais surtout par le témoignage de sa vie. 3. Avant-garde de l'évangélisation Comme consacrés, nous sommes appelés à être " avant-garde de l'évangélisation " dans notre Eglise qui doit s'incarner et se rénover constamment. Héritiers de grandes figures missionnaires au passé glorieux, nous devons porter allumée cette flamme et ce zèle missionnaire de nos aînés dont nous sommes très fiers. Par conséquent, nous devons être toujours très attentifs, avec une sensibilité particulière, aux motions que l'Esprit-Saint provoque tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Eglise. Sans abandonner les champs d'activités actuelles, nous voyons la nécessité d'aller jusqu'à ceux-là qui s'en sont éloignés et aussi à ceux à qui on n'a jamais annoncé l'Evangile. A ce sujet, l'appel lancé aux religieux et religieuses par son Eminence le Cardinal Etsou pour prendre les grands villages du plateau de Bateke où prospèrent sectes et sorcellerie (liste en annexe) doit interpeller notre conscience missionnaire et nous pousser à l'action. La vie consacrée se développe dans l'Eglise ; mais elle n'est pas du côté de ceux qui aiment cheminer uniquement sur les sentiers battus ou qui n'avalisent que ce qui a été prouvé. Les consacrés doivent plutôt être aux côtés de ceux qui essaient des chemins nouveaux, une nouvelle méthode d'évangélisation en profondeur et ne craignent pas de prendre des risques, toujours sensibles, attentifs et ouverts à l'œuvre de l'Esprit. 4. Témoin de l'espérance chrétienne dans la cité -Un regard sur les événements de notre société, qui sont faits de violence et de guerre, d'injustices et d'oppressions, pourrait conduire au découragement. Mais nous, religieux, sommes tous invités à témoigner de notre espérance, fondée sur le Christ et déposée en nos cœurs par l'Esprit Saint. Le mal n'est pas une fatalité ; l'amour nous presse de bâtir un avenir digne de l'homme. L'amour nous pousse à nous engager au côté de notre peuple pour son bien-être matériel et spirituel, pour son progrès authentique dans la justice et la paix. Tout acte accompli pour créer un avenir meilleur et une terre plus fraternelle, participe à l'édification du Royaume de Dieu. Sur cette voie, nous sommes tout d'abord appelés à surmonter nos propres peurs, peur de notre vérité, peur d'entrer en dialogue franc avec les autres, peur des esprits, peur de Dieu, peur de l'avenir, peur de nous engager, etc. -Pour que notre action soit plus efficace, nous devons mettre en commun nos énergies dans des structures de collaboration entre les congrégations et avec la hiérarchie. Que Asuma-Usuma deviennent réellement des instruments de travail, de collaboration entre les congrégations au service de l'unité de l'Eglise. Que ceux qui y ont une responsabilité prennent à cœur l'importance de la tâche qui leur est confiée pour le devenir de la vie religieuse et de l'Eglise toute entière. Mais Asuma-Usuma n'est pas affaire de quelques-uns, c'est notre affaire à nous tous et son bon fonctionnement doit devenir le souci de tous. Merci à vous tous et toutes pour votre disponibilité. Les interventions d'hier et notre propre expérience nous ont convaincus de la nécessité d'organiser dans un avenir proche des colloques pour débattre des sujets d'intérêt commun. Vous serez informés dès que toutes les commissions que nous venons de créer seront fonctionnelles. Que cette journée du 02 février ravive notre foi en Jésus-Christ et nous fasse découvrir des voies nouvelles pour vivre le charisme de notre vie consacrée. Ambongo Besungu Fridolin, ofm cap Président National de l'Asuma. " (D.I.A.)