ACTUALITES EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO DOCUMENT DIA AUJOURD'HUI ECOUTONS LA VOIX DE LA PAIX, DU DIALOGUE INTERCONGOLAIS, DE L'AMOUR ET DE LA VERITE Kinshasa, le 2 février 2001 -(D.I.A.)- Le titre susmentionné est celui de la réflexion d'un père jésuite oeuvrant à Kinshasa et que l'agence Dia propose à ses lecteurs in extenso. Ce texte a été rédigé le 24 janvier 2001, la veille de la prestation de serment de M. Joseph Kabila, le nouveau chef d'Etat du Congo-Kinshasa. "Destin commun, fragilité humaine " Les grandes tempêtes sont faites pour les grands navires " Kazantzakis, poète grec. Depuis les événements tragiques de l'assassinat du Président Kabila, le 16 janvier, j'ai compris à mon corps défendant, que tous sans distinction, nous avions un destin commun. Et pourtant, c'est une évidence dure, incontournable, insupportable. Pourquoi devrais-je attendre un événement aussi cruel que déstabilisateur pour m'apercevoir dans la douleur et la frustration que ma vie ne vaut pas celle d'un enfant de la rue ou d'un pauvre petit cireur de chaussures. A la réflexion, il me semble que nous avons tous passé cette semaine fatidique la peur au ventre : la peur de ce que va être notre avenir personnel et collectif ; la peur que tout bascule dans le chaos et la violence les plus aveugles. En effet, dans la tentative d'essayer de comprendre ce qui nous arrivait, je gardais espoir tout en sachant que les moments que nous vivions étaient d'une gravité et d'une fragilité assassines, historiques, et de la sorte si on les négociait mal, ils pouvaient nous engloutir tous, nous emporter dans de pires bassesses, anéantir nos efforts et nos projets individuels et collectifs. Je le confesse humblement, je ne me suis jamais senti aussi petit, aussi fragile, aussi misérable ; mais aussi solidaire de mon peuple, partageant les mêmes angoisses et la même histoire tragique. J'ai tant souhaité et prié pour que le pire n'arrivât pas. Pendant mes nuits blanches et à l'écoute des radios étrangères, j'essayai de cerner comment un acte, un seul acte peut mettre en émoi toute une nation et nous faire faire cette expérience douloureuse, nous faire prendre conscience que nous avons un destin commun, à construire, à solidifier. Cette expérience, on la voudrait pour toujours cathartique. Je compris aussi combien nous pouvons être otages des politiciens, qu'en leurs mains nos vies ne sont pas du tout assurées, protégées, sécurisées totalement. De cette expérience fortement vécue dans ma chair, dans mon cœur et dans ma raison, j'ai tiré une première leçon qui devra instruire et inspirer mon action et mon engagement. La première leçon, c'est que l'avenir de ce pays et même ce pays, don des ancêtres, n'appartient pas à un seul homme, un seul clan, une seule tribu, aux gens d'une seule région. Ce pays nous appartient tous, et son avenir est dans nos mains. Les étrangers occuperont une partie de ce pays avec la complicité de nos propres compatriotes. Si nous n'arrivons pas à les bouter dehors, la prochaine génération le fera obligatoirement. En ce domaine, ce n'est pas le temps qui compte, c'est la volonté de réussir son action. En ces jours, les vents tournent en faveur des dictatures orientales rwando-ougandaise. Qu'en sera-t-il demain, quand ils souffleront en direction de l'embouchure du fleuve Congo ? Quand ces vents tourneront le dos à leur volonté de puissance, alimentée par quelques multinationales esclavagistes ? Toutefois, il ne faut pas crier au loup pour le chasser. Et sans oublier cet adage : " Le vainqueur ne se fie jamais au hasard ". Tournant décisif Plus que jamais j'ai ainsi compris l'impérieux devoir que nous avons de nous battre, et de travailler pour baliser la route vers un régime démocratique. Ne nous le cachons pas : ce chemin est encore long : la conversion est lente et l'apprentissage de la démocratie entouré de beaucoup d'obstacles culturels, sociaux dus à la pauvreté et à la misère, à la roublardise et à la duplicité de ceux qui nous dirigent. Comme partout en Afrique, les opposants, qui prétendent être les seuls démocrates, visent en réalité à arracher le pouvoir et à le conserver par des moyens antidémocratiques. La démocratie est notre seule chance, sinon nous n'existerons plus comme nation, comme pays. J'ai aussi compris qu'il est inacceptable et immoral même de laisser, quels que soient les motifs et les circonstances, le destin d'un pays entre les mains d'un seul homme. Les événements de ces jours corroborent terriblement cette idée. Tirerons-nous vraiment les leçons qu'il faut de cette semaine tragique ? Dans ma tête, naïvement, je ne m'étais jamais rendu compte du danger énorme, pour la patrie et nos vies individuelles, de faire tout reposer sur les épaules d'une seule personne, sans instances de contrôle, comme s'il existait au monde des hommes politiquement infaillibles. De cette incompréhension, de ce refus rationnel, je tirais une première exigence personnelle, c'est celle de récuser toute tentative de concentrer les pouvoirs entre les mains d'une seule personne. Positivement, il s'agit de me convertir aux vertus démocratiques et de m'impliquer, autant que faire se peut, dans le combat pour l'instauration d'un Etat républicain, un Etat de droit et démocratique. Ceci devrait être une obligation pour chaque citoyen, et en priorité pour les élites du pays. Il n'y a pas si longtemps, nous nous moquions à gorge déployée des élections aux Etats-Unis d'Amérique. Qui pouvait nous dire que l'assassinat de notre président allait nous mettre en face de l'irrationalité de nos institutions ? A quelque chose malheur est bon, dit-on. Il se pourrait que nous ne voudrions pas, par manque de vision du futur tirer les leçons qui s'imposent des événements liés au lâche et cruel assassinat du président Kabila. Ce serait de l'aveuglément pur et simple, et cela nous coûterait cher, comme peuple et comme nation. Nous sommes, c'est mon opinion, devant un tournant de l'histoire de notre pays. Il nous appartient de bien le négocier. Qui veut aller loin, dit un adage, ménage sa monture. Notre monture, c'est la démocratie ; c'est l'entente nationale, la réconciliation, le Dialogue intercongolais non téléguidé de l'extérieur ; des Congolais honnêtes, consciencieux, compétents qui mériteraient de prendre le gouvernail de ce bateau battant drapeau congolais, mais qui est à la dérive, qui coule graduellement, si l'on veut. Le temps nous presse, le temps se fait court : nous n'avons plus du temps à perdre. C'est maintenant le temps favorable, est-ce que nos sirènes seront entendues ? Ne remettons pas à demain, ce que nous pouvons faire aujourd'hui. Aujourd'hui, ne fermons pas notre cœur, mais écoutons la voix de la paix, du Dialogue intercongolais, de l'amour et de la vérité. Nous devons nous réhabiliter politiquement, sortir de l'impasse, des querelles stériles. Si nous ne saisissons pas cette chance, nous nous préparons nous-mêmes au pire des asservissements, et nous ne lèguerons à la génération future que notre rêve d'un pays uni, souverain et indivisible. Nous avons des comptes à rendre à la génération de nos enfants et nous subirons leur jugement. Urgence du renouvellement Il faudrait capitaliser tous les élans de sympathie et d'un sain patriotisme qui se sont exprimés lors des funérailles du Président Kabila, pour lancer une réflexion en profondeur sur ce que les gens souhaitent, sur leurs attentes et leurs craintes. Ceci pourrait être un exercice collectif par lequel nos dirigeants seraient à l'écoute de la population. Certes, la population doit être éduquée, il faut toutefois lui donner la parole, librement et sans contrainte. A mon sens, pour ne pas rater le coche du changement en profondeur des mentalités et des structures gouvernementales, nous sommes appelés à mettre un terme aux discours et slogans improductifs, tapageurs et louangeurs. De même pour éviter la ruine totale de l'Etat et la balkanisation de notre pays, la seule devise qui convient, c'est le travail : travaillons, travaillons. Notre peuple n'aime pas le travail. Ne nous illusionnons pas, ce pays ne se remettra jamais si nous ne nous décidons pas à travailler. Descendez en ville et comptez les gens qui travaillent, vous serez édifiés. Hormis dans les entreprises privées, partout dans la fonction publique les services sont monnayés. Nous le savons tous et tous nous le faisons peut-être. Nous sommes extrêmement fatalistes, et même parmi l'élite intellectuelle du pays, nous voyons des gens qui attendent des miracles pour vivre et survivre. De même qu'il nous faut créer une autre culture du travail et une autre culture politique, de même nous en appelons à celui qui a hérité du pouvoir d'utiliser les énergies de sa jeunesse pour insuffler une nouvelle dynamique, pour susciter de nouveaux espoirs, une nouvelle race de travailleurs et de citoyens disciplinés. Notre peuple n'aime pas travailler ; il n'aime pas manger à la sueur de son front. Descendez en ville et comptez les hommes et les femmes qui travaillent vraiment. Nous nous illusionnons trop vite. Ce n'est pas une seule personne qui va tout changer. C'est chacun de nous qui doit effectivement changer. Il est étonnant de voir comment nous collaborons tous à perpétuer la corruption, au point que tous les services de l'Etat sont devenus monnayables. Et nous participons à faire chavirer la pirogue qui prend déjà de l'eau. Combien de parents ne donnent-ils pas d'argent à leurs enfants pour qu'ils aillent payer les inspecteurs véreux , qui, en retour, promettent de favoriser l'obtention du diplôme d'Etat ? L'état de déliquescence de notre pays est tel qu'il lui faut une thérapie de choc, une médecine de cheval. Si l'on n'a pas vu le nombre d'enfants de la rue qui ont accompagné leur ami M'zee en sa dernière demeure, il est normal qu'on ne comprenne pas l'urgence du renouvellement et les tâches immenses qui nous attendent et défient notre ingéniosité et la fameuse solidarité africaine. Reconnaître nos échecs collectifs et individuels Qui nous fera comprendre que ce pays n'a pas besoin de chantres et autres vendeurs d'illusions et d'idéologies dépassées. Ce pays a besoin plutôt de têtes bien faites, de bras solides, d'hommes libres et libérés, d'entrepreneurs consciencieux, de jeunes dynamiques et travailleurs. Comme on l'a déjà dit, aujourd'hui plus que jamais, le temps est favorable. Il faut décrisper la situation et l'environnement politique et économique. Il est temps de reconnaître nos échecs collectifs et individuels. Il ne sert à rien de les cacher. Aujourd'hui, nous sommes obligés de réussir ; il y va de notre dignité, la nôtre ; contre personne et non plus pour faire plaisir à qui que ce soit. Les attentes du peuple sont nombreuses : que ce soit du point de vue de l'éducation et de la santé, que des salaires humainement acceptables, du transport, de l'habitat, du travail pour ceux qui finissent l'université, etc. Nous ne pouvons plus dormir sur nos lauriers…Nous ne pouvons plus nous satisfaire de bonnes paroles et de belles promesses. Nous voulons un peu de bonheur dans nos assiettes, dans nos rues, dans nos écoles, dans nos quartiers. Nous voulons la paix dans nos âmes et dans nos cœurs ; pour ceux qui nous aiment et pour nos ennemis, dans nos maisons, comme dans nos forêts, dans la savane comme sur nos montagnes. Les hommes passent, mais le Congo reste Bref, froidement, ce que les événements de ce mois de janvier maudit m'ont appris, c'est que les hommes passent, mais le Congo reste. En dépit de ce que je peux penser, vouloir ou espérer, ce pays n'appartient à personne en particulier. Il nous appartient tous et il nous revient d'en faire ce que nous voulons. De le construire ou de le détruire. Nous en sommes capables. La seule voie qui pourrait nous protéger et nous préserver des conséquences de cette semaine folle, c'est celle de la démocratie et d'un Etat de droit. La voie à éviter, c'est d'abord celle de l'unanimisme qui est en fait la voie de la bassesse collective. Ensuite, évitons les discours pompeux et l'orgueil grotesque qui ne repose sur rien de sérieux. Pour vraiment éviter la noyade collective, il nous faudrait créer des structures de dialogue et de réconciliation nationale. Il faudrait laisser la politique aux politiciens, aux professionnels. Il faudrait, enfin, tout faire pour arrêter la guerre, aller aux élections et installer des institutions républicaines. Tout cela ne peut être possible que si déjà on promeut le discours contradictoire, sage et réfléchi. Qu'on apprenne aux jeunes les vertus démocratiques de respect de l'autre et des biens communs. Nous pourrons alors être en mesure de contrecarrer toutes les forces centrifuges qui cherchent à morceler notre pays. ( De notre correspondant occasionnel Joseph Kashema Mwendanga ,sj )